Ovide
Les métamorphoses d’Ovide, Livre I (Fable 6)
(v.262) Aussitôt, il enferme l'Aquilon dans les antres d'Eole, et avec lui tous les vents qui mettent en déroute les nuages pris dans leurs tourbillons ; puis il lâche le Notus. Sur ses ailes humides, le Notus s'envole, son visage terrifiant couvert d'une obscurité de poix ; sa barbe est alourdie de pluie, l'eau coule de ses cheveux blancs, sur son front séjournent les brouillards, ses ailes, son sein ruisselle. Et quand, de sa main étendue, il pressa les nuages en suspens, avec fracas s'épanchent du haut de l'éther les cataractes qu'il enfermait. La messagère de Junon, vêtue de couleurs chatoyantes, attire et recueille les eaux dont elle alimente les nuages. Les blés sont déversés ; sous les yeux du cultivateur éploré tous ses espoirs gisent à terre, et le labeur d'une longue année, devenu vain, est anéanti. Mais la colère de Jupiter ne se borne pas aux limites du ciel, son domaine. Son frère, roi des flots azurés, vient à son aide et lui apporte le secours de ses eaux. Il convoque les fleuves. Dès qu'ils eurent pénétré dans la demeure de leur maitre : « De longues exhortations sont », dit-il, « en ces circonstances, inutiles. Donnez libre cours à votre violence : c'est là ce qu'on vous demande. Ouvrez vos réservoirs et, renversant vos digues, lâchez sans contrainte les rênes à vos flots. » Ses ordres donnés, ils reviennent à leur demeure et ouvrent toutes grandes les bouches de leurs sources. Leur flot déchaîné prend sa course et roule vers les mers. Le dieu, de son côté, de son trident, a frappé la terre. Elle a tremblé, et la secousse a ouvert une large route aux eaux. Libres, les fleuves s'élancent hors de leur lit à travers les plaines ouvertes, entraînant tout ensemble avec les moissons, les arbres et les bêtes, les hommes et les maisons, les sanctuaires avec leur mobilier sacré. Si quelque demeure est restée debout et a pu résister, sans être renversée, à ce cataclysme, l'onde plus haute encore en recouvre cependant le toit, et les tours englouties disparaissent dans le gouffre des eaux. Entre la mer et la terre, nulle différence n'apparaissait plus : tout n'était plus qu'une plaine liquide, et cette plaine n'avait même pas de rives. L'un se réfugie sur une colline, l'autre, installé dans une barque aux flancs incurvés, se guide à la rame là où il avait labouré naguère ; celui-là navigue au-dessus de son champ de blé ou du toit de sa ferme submergée ; celui-ci prend un poisson au sommet d'une orme ; c'est dans une verte prairie, si le hasard l'a voulu, que s'enfonce l'ancre, ou bien, de leur quille les barques courbes écrasent les vignes qu'elles surnagent. Et là où naguère les maigres chèvres broutèrent le gazon, maintenant les phoques informent viennent se poser. Les Néréides sous l'eau contemplent avec étonnement des parcs, des villes, des maisons. Les dauphins sont les hôtes des forêts, ils se jettent contre les branches et se heurtent aux chênes que le choc ébranle. Le loup nage au milieu des brebis. L'onde charrie des lions fauves, charrie des tigres. Sa force foudroyante n'est plus d'aucun secours pour le sanglier, non plus que la rapidité de sa course pour le cerf entraîné par le flot. Et, après avoir longtemps cherché une terre où pouvoir se poser, l'oiseau errant, les ailes fatiguées, tombe à la mer. Sous cet immense débordement de la plaine liquide, les hauteurs avaient disparu ; les flots insolites battaient les sommets des montagnes. Les êtres vivants, pour la plupart, sont emportés par l'onde ; ceux que l'onde a épargnés, succombent à un long jeûne, faute de nourriture.