Ovide
Les métamorphoses d’Ovide, Livre X (Fable 2)
(v.86) Il était une colline et, sur cette colline, un plateau de surface très égale, tout verdoyant d'une couche de gazon. L'ombre faisait défaut à ce lieu. Quand le poète, fils des dieux, se fut assis en cet endroit et eut fait vibrer les cordes sonores de sa lyre, l'ombre y vint. Il n'y manqua ni l'arbre de Chaonie, ni le boqueteau des Héliades, ni le chêne aux frondaisons altières, ni les tilleuls délicats, ni le hêtre ou le laurier virginal, ni les coudriers cassants ou le frêne au bois utile pour les javelots, le sapin sans noeuds, l'yeuse comme bouclée de glands, le platane aimé des joyeux compagnons, l'érable aux feuilles de coloris disparate, ni, tout voisins, les saules qui poussent le long des fleuves et le lotus ami de l'eau, le buis toujours vert, les frêles tamaris, le myrte de deux couleurs, le laurier-tin aux sombres baies. Vous aussi, lierres rampants et flexibles, vous étiez venus, en même temps que les vignes avec leurs pampres, et les ormes couverts de leur manteau de vignes, et les ornes et les sapins et l'arbousier chargé de ses fruits rouges, et les souples palmiers, dont la palme est le prix du vainqueur, et le pin, au feuillage retroussé, à la cime hérissée, cher à la Mère des dieux, s'il est vrai qu'Attis, aimée de Cybèle, a renoncé à la figure humaine pour prendre celle de cet arbre et s'est mué en la dure substance de son tronc.

(v.106) A cette foule se joignit le cyprès dont la forme imite celle du cône des bornes, arbre aujourd'hui, jais enfant aimé du dieu qui sait manier les cordes de la cithare comme la corde de l'arc. Il y avait, en effet, un grand cerf, consacré aux nymphes habitant les champs de Carthaea, et qui, grâce à ses bois largement étalés, mettait lui-même sa tête à l'abri d'une ombre épaisse. Ses cornes brillaient de l'éclat de l'or, et, se répandant sur son poitrail, des colliers de pierreries étaient suspendus à son cou arrondi. Sur son front jouait librement une bulle d'argent, liée par de petites courroies, et du même âge que lui. De ses deux oreilles pendaient des perles qui battaient ses tempes creuses. Libre de toute crainte, sans éprouver la frayeur innée chez ses semblables, il fréquentait volontiers les maisons et offrait son encolure aux caresses de toutes les mains, si inconnues fussent-elles. Mais pourtant, plus qu'à tous les autres, ô toi le plus beau des enfants de Cos, il avait ton affection, Cyparissus. C'est toi qui conduisais ce cerf à la pâture de l'herbe fraîche, aux ondes d'une source limpide. Tantôt, tu enlaçais à ses bois des guirlandes de fleurs variées, tantôt, cavalier installé sur son dos, tu le menais joyeusement de côté et d'autre, sa bouche tendre obéissant aux rênes de pourpre. Un jour, il faisait chaud ; il était midi ; à la chaleur du soleil, les bras recourbés du Cancer, hôte des rivages, devenaient brûlants. Fatigué, le cerf s'étendit sur la terre couverte d'herbe et goûtait la fraîcheur que dispensait l'ombre des arbres. Sans le vouloir, le jeune Cyparissus le transperça d'un javelot à pointe affilée, et, quand il le vit mourant de cette cruelle blessure, il voulut aussi mourir. Quelles consolations ne lui prodigua pas Phoebus, et comme il lui remontra qu'il devait ressentir une peine moins profonde et proportionnée à son objet! L'enfant ne gémit pas moins et demande comme suprême faveur aux dieux que son deuil soit éternel. Et bientôt, tout son sang s'étant écoulé en flots de larmes, ses membres commencèrent à prendre une couleur verte, ses cheveux qui, tout à l'heure, tombaient sur son front de neige, deviennent une chevelure hérissée et, prenant de la raideur, pointent vers le ciel étoilé une grêle cime. Le dieu poussa un gémissement et, avec tristesse : " Je verserai sur toi des larmes, tu en verseras sur les autres et tu seras le compagnon de la douleur " dit-il.